mardi 15 avril 2014

Régression des algues brunes en Finistère sud (article paru dans Penn ar bed n° 192)



La  régression des algues brunes  en  Finistère Sud 
  Exemple de la crique de Portec (commune de Moëlan- sur-Mer) et de ses environs 
    
                                            Un problème déjà ancien.

     
    Depuis plusieurs années, un problème préoccupe tous ceux qui s’intéressent à l’environnement côtier : le développement envahissant des algues vertes sur le littoral, notamment dans les baies abritées. Importante en Bretagne Nord (baies de Saint-Brieuc, de Lannion, de Morlaix), cette invasion reste plutôt limitée en Bretagne Sud : la principale zone concernée est la baie de La Forêt-Fouesnant. Les causes en sont connues : excès de nitrates, provenant de l’agriculture (engrais) et de l’élevage (lisier de porcs), entraînant une eutrophisation des eaux douces arrivant   à la mer, puis de la mer elle-même. Les solutions se trouvent donc à terre ; la réduction des nitrates n’a malheureusement d’effets qu’à long  terme, puisqu’ils sont stockés dans les nappes phréatiques.
Nous avons remarqué, depuis plusieurs décennies, un problème tout aussi inquiétant, qui préoccupe les nombreux pêcheurs à pied de la région, mais ne semble pas avoir retenu l’attention de la communauté scientifique ; en tous cas, les médias n’ont pas répercuté d’éventuelles informations : il s’agit de la raréfaction, voire de la disparition, des algues brunes de la zone médio-littorale, communément  rassemblées sous le nom de  goémon.

A. Le Roux, ancien enseignant-chercheur en biologie marine, nous a tout  récemment fait part de ses inquiétudes concernant ce phénomène, qui gagne à présent le Golfe du Morbihan jusque là épargné ; Il publie un article sur ce sujet dans ce  numéro  et nous a proposé de nous associer à cette étude,  pour notre  secteur côtier (Sud-Est du Finistère).

Il est donc temps de faire le point sur ce phénomène, d’essayer d’en déterminer les causes, et, si possible de l’enrayer.


                           Les algues brunes et les raisons de s’y intéresser.

  
 Il y a quarante ou cinquante ans, les algues brunes formaient, sur toutes les zones rocheuses du littoral qui n’étaient pas exposées à l’action des fortes houles, des ceintures denses bien caractéristiques dans l’étage médio-littoral (plus précisément, entre le niveau de la marée haute et celui de la marée basse de vives-eaux moyennes), décrites dans tous les ouvrages sur le littoral ; de haut en bas, on trouvait classiquement :

   1 ) Pelvetia canaliculata ; 2 ) Fucus spiralis ; 3)  Fucus vesiculosus ; 4 ) Fucus   serratus.

     Une autre grande algue brune, Ascophyllum nodosum, était associée aux fucus des zones 2 et 3, en étant souvent prépondérante dans les zones calmes.  Les 5  espèces citées sont des Fucacées.

            Au niveau supérieur, les Pelvetia et les Fucus spiralis étaient souvent associées à des lichens (Lichina, surtout), et à des algues rouges (Porphyra).

     Au niveau inférieur, les Fucus serratus étaient associés à des algues rouges variées.

Depuis une vingtaine d’années, en certains endroits (surtout dans des zones assez abritées) une autre algue brune, Sargassum muticum, a proliféré. On avait craint l’invasion de cette espèce, mais elle a régressé et s’est intégrée au milieu, tout en restant abondante dans les mares.

          Les fucacées étaient absentes dans les zones fortement battues par la houle, sauf dans certaines cuvettes ; les rochers étaient alors recouverts de balanes, de moules (très nombreuses, mais restant très petites), de patelles ; les cuvettes exposées abritaient des algues encroûtantes, des oursins et des actinies. Au-dessous du niveau des basses mers moyennes de vives eaux, les Fucus serratus laissaient la place aux cystoseires dans les zones moyennement  abritées ; dans les zones battues, on trouvait des himanthalies et des laminaires.

        Certes, les fucacées, très glissantes, gênaient les déplacements à marée basse ; c’est peut-être la raison pour laquelle peu de gens  regrettent leur disparition. De plus, les touristes ne supportent plus l’accumulation de « goémon pourri »  sur les plages ; elle entraîne une gêne visuelle et olfactive,  et incite les mairies dont dépendent ces plages à éliminer toutes ces algues d’épave (parfois de façon excessive, en enlevant aussi du sable).

         Elles ont pourtant une importance fondamentale pour la vie littorale : une multitude d’animaux y trouve un abri efficace et la nourriture : par exemple,  gastéropodes (littorines de différentes espèces, gibbules, patelles, etc) ;  crustacés (crevettes, dont c’est la zone de reproduction ; pagures, crabes divers, voire jeunes homards) ; petits poissons (gobies, blennies, labridés ; jeunes de nombreuses espèces : lieus, mulets, bars) ; seiches et pieuvres dans certaines zones, etc.

         Leur décomposition assure la nourriture de nombreux crustacés (amphipodes, isopodes) et de larves d’insectes, qui sont eux-mêmes la proie de nombreux poissons (mulets, lieus, bars) et d’oiseaux (mouettes et goélands, limicoles, passereaux variés).

  Il s’agit donc de producteurs primaires très importants du littoral, comme le phytoplancton (celui-ci étant la base de nutrition des mollusques et crustacés filtreurs) : Ces algues assurent la biodiversité du littoral.

Pendant longtemps, les algues brunes ont servi de matière première à l’industrie (fabrication de la soude) et les algues décomposées étaient utilisées comme engrais ; on peut encore voir, sur le littoral de Moëlan et de Clohars des plate-formes où les paysans du littoral (qui étaient aussi pêcheurs, bien souvent) entassaient le goémon ramassé pour le laisser sécher. L’exploitation par des goémonniers professionnels existe encore en quelques secteurs de Bretagne Nord (Léon, sillon de Talbert).

      Aujourd’hui, les fucacées régressent et ont parfois totalement disparu  dans le secteur que nous fréquentons régulièrement allant de Trévignon à la rade de Lorient (60 km environ) ; nous avons commencé nos observations entre Merrien et Doëlan ; ce secteur, proche de notre domicile, nous étant aisément accessible à pied.

     

                      Caractéristiques de ce littoral ; « état des lieux »


     Cette côte, exposée aux gros temps de sud-ouest (orientation générale : 290° - 110°), est constituée de falaises déchiquetées, de 5 à 15 m au-dessus des plus hautes mers. Les micaschistes qui les forment sont très résistants à l’érosion, mais des filons plus sensibles à la corrosion marine (amphibolites, notamment) déterminent des dépressions et  de profondes encoches à parois verticales. C’est une des seules vraies côtes « sauvages » de Bretagne Sud, sans maison ni route côtière (surtout entre Port-Bali et Port-Lamat)

      Elle se situe entre le Bélon et la Laïta (rias mesurant chacune plusieurs kilomètres). Entre ces grands estuaires qui ressemblent aux abers du Nord de la Bretagne, les rias de Brigneau et de Doëlan, mesurent environ 1000 m de long chacune et celle de Merrien, 1600 m. Ces trois rias, occupées par des ports de pêche et de plaisance (très fréquentés en été), reçoivent des ruisseaux au débit très faibles : seule la rivière de Merrien a gardé des moulins à eau jusqu’au milieu du vingtième siècle. Merrien a, comme le Bélon, une activité ostréicole (affinage).
      Entre Merrien et Doëlan, on trouve 2 criques allongées, d’environ 250 mètres de long et 20 à 40 m de large : Port-Bali et Portec dont le fond est occupé par des plages de galets et sable gris, plus ou moins vaseux  au-dessous du niveau de mi-marée.  Elles reçoivent chacune un  ruisseau de 3 km de long environ, dont le débit est  encore plus faible que les précédents.
D’autres criques ou baies, encore plus petites, sont quelque peu abritées de la houle : Port-Stancou et Port-Blanc, près de Doëlan ; Porchinec, entre Port-Bali et Portec, sont les débouchés de vallons suspendus. Port-Lamat, entre Portec et Port-Blanc, est une ria naine en forme de caisse. Les apports d’eau douce y sont très faibles (sources, suintements ; ruisselets dont le cours, souvent tari en été, n’est pas raccordé au niveau de la plus haute mer). De petites plages, de gravier ou de sable, peuvent y exister de façon éphémère ; seule celle de Port-Stancou est assez stable.

    Les ruisseaux prolongent leur cours sur l’estran, à marée basse ; ce cours est marqué en été par une coloration verte due à des entéromorphes, qui disparaissent en hiver quand le débit d’eau douce augmente. Ces algues vertes existaient déjà dans les années 60. Leur développement est sans doute  favorisé par un enrichissement en substances nutritives.

    En amont de ces criques , le territoire est une des parties les moins urbanisées du littoral de Bretagne Sud ; la population sédentaire n’augmente pas de façon importante ; la fréquentation touristique estivale reste raisonnable, en raison de l’absence de véritable plage.          

    Les plateaux, entre Merrien et Doëlan, sont cultivés ; une bande côtière de 100 à 300 m de large reste à l’état naturel : pelouse aérohaline et lande à ajoncs et bruyères dans les zones exposées aux vents et aux embruns, fourrés de prunelliers dans les zones plus abritées. Les versants sont des coulées vertes, protégées par le P.O.S (bois de chênes et de frênes, avec parfois des groupes de pins maritimes) ; les fonds de vallées, autrefois utilisées comme prairies (fauchées au mois de juin, puis pâturées) sont devenus des bois de saules marécageux, difficilement pénétrables.



                                    Évolution des peuplements d’algues brunes.
 

photo aérienne de Portec.

A Portec, les photos de 1976  montrent des peuplements de fucacées  encore très denses ; elles recouvraient  entièrement les rochers, avec une zonation classique. Des documents personnels de 1982 et 1983  montrent une diminution de la densité des ascophylles et une invasion d’algues vertes au-dessus et au-dessous des Fucus serratus ; des marées vertes assez importantes ont eu lieu à partir de  1980, sans que nous puissions préciser durant combien d’années (au moins 10 étés consécutifs). En 1986, seules quelques plaques d’ascophylles subsistent : on peut estimer le taux de recouvrement à moins de 25 %.  
    En 1991 il n’y a presque plus de Fucus vesiculosus ni d’Ascophyllum, alors que les Fucus spiralis et Pelvetia de l’étage supérieur et les Fucus serratus de l’étage inférieur résistent encore (toujours environnées d’entéromorphes).
           En 1992, une arrivée de sable (observée aussi à Port-Lamat) a construit une barre à l’entrée de Portec. Disparue l’année suivante, elle a apparemment provoqué un engraissement de la plage. Ce sable jaune, ressemblant à ceux des embouchures de la Laïta et du Bélon, provenait sans doute d’un dépôt de dragages, transporté par les courants . Son action abrasive a peut-être eu une influence sur la fixation des jeunes algues, mais nous avons vu que la majorité des Ascophyllum et des Fucus  avait déjà disparu.
          En 2003, la ceinture de pelvéties est  extrêmement fragmentée ; plusieurs espèces de lichens, dont Lichina pygmaea, y forment localement des peuplements serrés (points A, B, C de la photo aérienne). Plus bas, nous avons trouvé, dans cette crique de 250 mètres de long, 3 pieds d’ascophylles, dont un portant des organes reproducteurs (planche h-t n°2, photo c), et un autre fortement brouté. Les Fucus spiralis ne se trouvent que dans des zones de quelques mètres carrés (repères A et E de la photo aérienne) et sont de petite taille : le plus long pied mesuré ne dépasse pas 22 cm. Quelques pieds paraissent jeunes (2 à 3 cm de long), mais pourront-ils se développer  et se reproduire ? Ces fucus sont accompagnés d’entéromorphes qui recouvrent certains rochers. (planche h-t n°2, photo a et  repères B,C,D, de la photo aérienne).Dans toute la partie amont, les Fucus vesiculosus ont totalement disparu.

1976

       en  1986
en 2003 

       Plus en aval (repère D de la photo aérienne), là où on trouvait des Ascophyllum et des Fucus vesiculosus on trouve quelques peuplements de Laurencia pinnatifida, de couleur très foncée et de petite taille (moins de 2 cm).

      Les sargasses, qui avaient commencé à coloniser les cuvettes dans la zone des Fucus vesiculosus et serratus, se raréfient elles-aussi : il n’en reste que quelques pieds dans la partie aval de la rive droite (repère G de la photo aérienne). Nous avons également découvert 2 pieds de Codium tomentosum, espèce jusque là inconnue à Portec. Seule la ceinture de Fucus serratus subsiste, mais elle est très amoindrie et discontinue.

      Près de la sortie de la crique (repère H de la photo aérienne) on trouve des Fucus vesiculosus (forme evesiculosus : sans vésicules) : cette forme est typique des milieux battus. Leur population est assez clairsemée  mais comprend de jeunes individus .Peut-être est-ce le signe d’une recolonisation ?

         sur cette photo, au point A de la photo aérienne, la zone recouverte par les algues et la zone de berniques (en 2003)
 
     A Port-Bali, seule une centaine de pieds de Fucus vesiculosus (mesurant moins de 15 cm) occupe une zone de moins de 1 m², située près d’un suintement d’eau douce, en amont de la rive gauche. Ils sont accompagnés d’entéromorphes. Partout ailleurs, la situation est la même qu’à Portec : balanes, patelles, moules, avec en plus quelques huîtres. 

    A Doëlan, l’évolution est moins marquée ; cependant, en aval, (sauf dans une  zone protégée par la digue, rive droite, où les ascophylles sont encore abondantes), la disparition des algues brunes ressemble à celle observée dans les criques. 
 
     
      En amont, on trouve encore une couverture algale continue, avec la zonation classique. La régression progresse de l‘aval vers l’amont et de vastes plaques de rocher nu apparaissent (surtout en exposition Sud, donc vers le large) ;  situation bien visible aussi sur les murs de quais. Les Fucus vesiculosus sont les premiers à disparaître, puis viennent les ascophylles. Les observations sont comparables dans le Bélon, l’Aven, le ports de Brigneau (planche hors-texte n°4) et celui de Merrien.

      A Trévignon, port-abri qui n’est pas situé à l’entrée d’une ria, les fucacées sont encore abondantes dans le port, derrière la jetée ; elles ont disparu « côté mer ».    

      Dans la Laïta, les Fucus vesiculosus et les ascophylles remontent jusqu’à l’abbaye de Saint-Maurice ; elles sont très abondantes en aval, vers Porsmoric par exemple. Par contre, au Pouldu, autour de la plage des Grands-Sables, la situation actuelle est la même qu’à Portec.     

     A Larmor-Plage, les fucacées recouvrent entièrement les rochers, près du Fort de Kernével ; avec néanmoins des zones recouvertes d’entéromorphes et de Porphyra. Ces 2 types d’algues recouvrent de très vastes surfaces sur la pointe de Toulhars (en face de Port-Louis : rive droite de la rade de Lorient). En cette station, les fucacées ont fortement régressé par rapport à 1996 (d’après un film) ; il subsiste des Fucus vesiculosus mais peu d’Ascophyllum. Côté mer, (ou plutôt coureaux : mode semi-abrité, du fait de la protection de l’île de Groix), aux environs de la plage de Locqueltas , les rochers sont dépourvus de fucacées, à l’exception d’une zone correspondant à un déversement d’eau douce (eaux pluviales de la ville ?) : Cette zone est encore recouverte d’Enteromorpha et de quelques Fucus vesiculosus. Les entéromorphes  et les Porphyra recouvrent les rochers à la limite des hautes mers .         

  Cet aspect à Porphyra et algues vertes a été retrouvé sur le côté ouest de l’isthme de Raguénès (commune de Névez), dont les conditions sont pourtant très différentes (aucune grande ria ni ville importante aux environs ; orientation à l’ouest ; mode battu, malgré l’abri relatif des îles de Glénan, assez éloignées). Des photos et des relevés sur ces différents sites vont désormais nous permettre de suivre le phénomène.  

      Dans les baies ouvertes comme Porchinec et sur la côte « sauvage », la disparition des algues brunes est plus ancienne (aux environs de 1960). Cependant, on y trouve actuellement, par endroits, des Fucus vésiculeux (forme evesiculosus, de mode battu) et même quelques ascophylles. La situation est parfois moins dramatique que dans les petites rias et les entrées de ports.


                    Quelles peuvent  être les causes de cette évolution ?


        Il y a, de toute évidence, un déséquilibre du milieu : le « mode battu », à animaux solidement fixés et sans algues (au-dessus du niveau des basses mers de vives eaux moyennes), semble gagner du terrain au détriment du « mode rocheux abrité », à algues. L’évolution semble toujours commencer par l’apparition d’algues vertes (entéromorphes, auxquelles sont mêlées quelques ulves) et d’un revêtement de Porphyra au niveau des hautes mers ; puis ces algues disparaissent elles-mêmes, laissant les rochers dépourvus de végétation.                

        Les tempêtes seraient-elles plus violentes qu’autrefois, où orientées différemment ? Malgré des épisodes agités (1975,1987,1999 par exemple) cela ne paraît pas évident. La réponse pourrait peut-être venir de Météo-France. Quelques sécheresses accompagnées de canicules, comme celle de 1976, ont peut-être aussi eu un rôle.

 
      On peut penser à une pollution, mais de quelle nature et de quelle origine ?

Une pollution pétrolière chronique depuis plus de 50 ans, pourrait être responsable ; elle a connu un maximum avec l’Érika. Cette marée noire (1999) a fait l’objet d’un traitement « écologique » avec suivi  scientifique (dont nous ne connaissons pas les résultats) ; mais il y a cependant eu des lavages au nettoyeur haute pression, voire des décapages de la roche au marteau et au burin (dans l‘étage supra-littoral). Ni la pollution, ni son traitement ne semblent avoir modifié la densité d’algues ; de toutes façons, la plupart d’entre elles avaient déjà disparu. De plus, les côtes du Léon, très affectées par l’Amoco-Cadiz et par des dégazages semblent conserver de beaux peuplements d’algues. Il nous faudrait l’avis d’observateurs léonards !
    Une pollution d’origine terrestre, notamment une pollution agricole, devrait faire davantage de ravages dans une ria recevant beaucoup d’eau douce ; or, c’est précisément le contraire : ce sont les rias les plus courtes et recevant les ruisseaux les plus faibles (Port-Lamat, Porchinec) qui ont perdu leurs algues le plus tôt ; à Portec, à Port-Bali, et en d’autres stations, les seules algues brunes survivantes sont proches des suintements d’eau douce. Les bassins versants tributaires de ces petites rias ne portent pas d’élevages hors-sol et sont plutôt moins cultivés que l’arrière-pays ; Notons cependant les marées vertes déjà signalées entre 1980 et 1990 dans les criques, notamment à Portec  : elles devaient être provoquées par l’abus de fertilisation agricoles les années précédentes, de même que l’extension d’algues vertes aux limites inférieures du niveau de Fucus serratus. Mais les ascophylles et les fucus vésiculeux ont disparu avant ce phénomène.
    D’autre part, la Laïta, qui draine un bassin où les causes de pollution sont bien plus nombreuses,  conserve des algues brunes ; de même pour la rade de Lorient. Ces grandes rias ont été aussi victimes de multiples pollutions industrielles, et sont encore très polluées actuellement.

    Les peintures anti-salissures, alors ? Il reste des algues brunes à Doëlan, en face des bateaux. D’ailleurs, les « antifoulings » des bateaux de plaisance sont surtout destinés à limiter, par action de contact,  l’installation des balanes sur les carènes ; balanes qui, cependant, recouvrent entièrement certains murs de quai.
    La cause , s’il s’agit d’une pollution, semble plutôt venir de la mer.
    Une autre cause possible est la consommation excessive des algues par des animaux ; ceux-ci, dans les zones où les algues ont disparu, sont très peu variés .
       Les patelles, selon  A. Le Roux (voir article dans ce numéro), qui a étudié les estrans du Morbihan, sont à l’origine de la régression des fucacées, notamment des ascophylles.
       Ces patelles, gastéropodes brouteurs, sont en effet très nombreuses (nous avons mesuré des densités de 100 à 600 animaux par mètre carré). Autour d’elles, à Portec, le rocher est parfaitement propre, nettoyé ; A Doëlan, par contre, au-delà de leur rayon d’action, la roche est recouverte d’un enduit gluant constitué de particules minérales, de diatomées, de cyanophycées et de divers microorganismes. Les macro-algues (Fucus et Ascophyllum) sont broutées au voisinage des patelles : les touffes sont parfois réduites à des moignons ; celles qui sont fixées sur les coquilles de ces gastéropodes ne dépassent pas le bord de celles-ci. On voit que les patelles consomment les algues brunes « adultes » mais on peut penser qu’elles s’attaquent aussi, et surtout, aux jeunes algues qui s’installent sur le rocher, et donc qu’elles sont les principales responsables de la régression de ces algues. 
le territoire d'une bernique


    

3 stades de la régression d'une touffe d'algues sous la pression des berniques

 
cette petite bernique a commencé à grignoter l'algie

Les littorines sont surtout représentés, à Portec, par des bigorneaux (Littorina littorea), très abondants dans les fissures et les cuvettes, dans la zone à Fucus vesiculosus.  Les autres littorines sont peu fréquentes, de même que les gibbules. Ce sont des animaux brouteurs, qui peuvent s’attaquer aussi aux algues. L’ensemble représente une biomasse moins importante que celle des patelles. Une espèce nouvelle de gastéropodes est apparue en août 2003 : Onchidella celtica ; localement abondante à Portec dans la zone C de la photo aérienne, sur des rochers exposés au nord. Elle a complètement disparu cet hiver : réapparaîtra-t-elle l’été prochain ? son installation est  trop récente pour qu’elle soit en cause dans la disparition des algues, mais c’est peut-être un indicateur de modification du milieu.              
     Les crevettes, omnivores, grignotent les algues brunes en aquarium ; en font-elles de même dans la Nature ? De toutes façons ces crustacés disparaissent en l’absence d’abri : les algues repousseraient après leur départ.
     Les balanes, forment, en maints endroits, des peuplements denses et  peuvent aller jusqu’à recouvrir totalement la roche ou le mur de quai.
     Les moules, qui étaient absentes lorsqu’il y avait des algues, prolifèrent, formant des peuplements localisés et très denses (là aussi, le recouvrement peut être de 100 %), se développant souvent à partir de fissures ; elles restent petites, comme celles qui se développent en mode battu ; elles sont souvent recouvertes de balanes.
         Des huîtres (Crassostrea gigas) sont apparues à Port-Bali et à Doëlan ; originaires sans doute de Merrien ou du Bélon, rias ostréicoles, elles se sont très récemment et rapidement acclimatées à Doëlan.
           Balanes, moules et huîtres sont des animaux filtreurs : ils peuvent avoir une influence sur la reproduction des algues en captant les cellules reproductrices. Cependant, nous avons trouvé, en mode battu, de jeunes Fucus evesiculosus parmi des colonies de moules.

            En conclusion , il faut insister sur le fait que le même schéma évolutif semble se reproduire dans tous les sites étudiés :
        *  Les fucacées (d’abord les Fucus vesiculosus, puis les Ascophyllum) régressent de façon impressionnante et catastrophique en différents endroits de notre littoral comme en témoignent les documents.
*  Leur régression commence en aval des rias étudiées et se poursuit vers l’amont, donc ne semble pas liée à une pollution terrestre d’origine humaine.
       * Les rochers ainsi dénudés dans les rias sont colonisés par des  balanes, des patelles et des moules qui sont d’habitude caractéristiques des estrans battus par les vagues. Les patelles deviennent souvent extrêmement nombreuses et consomment visiblement les algues qui subsistent .
       *  La recolonisation des différents sites est peut-être  amorcée (présence de Fucus evesiculosus, voire d’Ascophyllum en quelques sites exposés à la houle) ; mais nous ne savons pas si ces algues avaient complètement disparu à ces endroits.

  Il s’agit donc maintenant :
   -   d’ assurer le suivi des populations d’algues brunes dans le plus grand nombre de sites possibles en Bretagne, en comparant la situation actuelle avec des données ou des  photos anciennes (appel à tous ceux qui en possèdent !) , puis en observant son évolution dans les années à venir.
    Nous proposons, pour notre part, d’assurer ce suivi sur le secteur déjà étudié (communes de Moëlan-sur-Mer et Clohars-Carnoët, du port du Bélon à Saint-Maurice, sur la Laïta)  et de l’étendre au secteur allant de Concarneau à Lorient ,pour lequel nous disposons de nombreuses observations; ceci en prenant un maximum de photos qui peuvent servir de référence .
     -     de déterminer si le phénomène est irréversible ou cyclique.

     -   de démontrer l’action des patelles, par exemple en éliminant tous les individus, dans un certain rayon, autour d’un peuplement d’algues. Nous avons commencé de telles expériences à Portec et à Doëlan.

     -  de rechercher les causes de cette prolifération des patelles et du déséquilibre constaté au détriment de la biodiversité du milieu littoral ; et aussi de comprendre pourquoi la régression des fucacées est souvent accompagnée, à son début, d’un développement d’entéromorphes et de Porphyra. Cela nécessite des analyses qui ne peuvent être réalisées que dans un laboratoire : les études de terrain ne suffiront pas.

  Résultat d’une expérience simple.
     Nous avons réalisé une expérience à Doëlan (en amont de la digue, rive droite) : autour d’une zone d’environ 1 mètre carré recouverte par des ascophylles et quelques fucus fortement broutés, nous avons enlevé toutes les patelles en février 2004. A plusieurs reprises (mars, juin, août, décembre) nous avons éliminé de nouveaux individus, qui avaient parfois parcouru plusieurs mètres pour se rapprocher du « champ » d’algues. Nous avons ainsi enlevé plus de 1800 animaux, sur environ 6 mètres carrés. Un an après, la plupart des traces de broutage ont disparu sur les ascophylles qui repoussent (croissance attestée par l’apparition de flotteurs) et  produisent à nouveau des organes reproducteurs.
     Aux environs, près de thalles comparables aux précédents, nous n’avons pas touché aux patelles. En novembre 2004, presque tous ces thalles avaient disparu. Une des touffes qui subsistaient a complètement disparu le 10 janvier : nous avons assisté à la disparition du dernier brin, coupé à la base par une des patelles qui cernaient l’algue. Il semble donc que l’action définitive des gastéropodes ait lieu en automne et en hiver, quand l’absence de photosynthèse n’assure plus à l’algue une croissance suffisante pour compenser la consommation par les animaux.
    Il y a un an, nous hésitions encore à admettre cette action prédominante des patelles. Ce que nous avons observé ne nous laisse plus aucun doute. Nous invitons les personnes intéressées à venir voir ces résultats, et à faire d’autres expériences en des lieux où l’évolution est comparable.








              
Observations sur d’autres secteurs.

   
Des observations dans d’autres zones du littoral ont permis de constater  des  situations identiques à celles du littoral de Cornouaille et du Morbihan ; nous avons pu voir des champs d’ascophylles et de fucus entourés de patelles sur des rochers plats de Vendée (Brétignolles) ; des pêcheurs à pied connaissant bien le secteur ont confirmé qu’il n’y a pas encore très longtemps, tous les rochers actuellement dénudés étaient recouverts de ces algues brunes. 

     Mais l’exemple le plus spectaculaire que nous ayons observé est sans doute à Trégastel, dans les Côtes d ‘Armor (près de la cale, côte Ouest). Sur des rochers de granite rose presque plats , les champs d’algues normaux  (algues longues et sans traces notables de broutage) sont entourés de « fronts » de patelles, disposées sur 3 ou 4 rangs ; à l’extérieur de la zone, le rocher est complètement nu, comme décapé. A la limite entre le champ d’algues et le front de patelles, les ascophylles sont « en brosse » et portent des traces de broutage évidentes.  Les patelles sont seules, on ne trouve pratiquement pas d’autres gastéropodes.  Cette disposition en front a été déjà décrite dans le Morbihan (île Berder) par Auguste Le Roux.


Le "front" de berniques "attaquant" un champ d'algues à Trégastel


        Ce qui est frappant, c’est la constance de cette disposition, même si elle est moins nette lorsque le relief est accidenté, comme c’est le cas avec les micaschistes de la portion de côte que nous avons précédemment étudiée.

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